Art Center Bang

Art Center Bang, Chicoutimi, Québec, Canada

Collection 10m2
Pierre Courtin / Collectionneur défricheur

Par Julie Crenn

Je ne m’intéresse pas uniquement à l’art, je m’intéresse à la société dont l’art n’est qu’un aspect. Je m’intéresse au monde en tant que tout, un tout dont la société n’est qu’une partie. Je m’intéresse à l’univers dont le monde n’est qu’un fragment. Je m’intéresse en premier lieu à la création permanente dont l’univers n’est qu’un produit.
Robert Filliou (1963)

Amateurs ou professionnels de l’art, qui n’a jamais été tenté de rapporter chez lui un souvenir d’une exposition, d’une intervention dans un espace public, d’une performance, d’un concert ? Un morceau subtilisé qui deviendra la trace d’une expérience visuelle, sensorielle, esthétique. Le fait de posséder ces traces fait-il de nous des chapardeurs ? Des sentimentalistes ? Des collectionneurs ? Depuis 2001, Pierre Courtin (artiste, galeriste et collectionneur) pose la question du statut et la fonction d’une collection d’art. En articulant des œuvres (films, dessins, photographies, peintures, sculptures, multiples signés) avec des fragments d’œuvres, des documents (livrets, affiches, cartes) et d’autres objets, il a constitué une collection non conventionnelle. Guidée par la passion, la curiosité et une volonté de partage, la collection 10m2 ne reste pas à l’écart du monde et n’affiche aucune perspective marchande. Elle compte aujourd’hui plus de 300 pièces provenant des pratiques de plus de 200 artistes. En tant que plasticien, il interroge un processus gestuel : glaner, récolter, compiler les œuvres ou leurs écumes d’artistes dont il affectionne le travail. En tant que galeriste et collectionneur, il pose les questions de l’articulation des pièces : leur mobilité, leur accessibilité et leur visibilité par un large public.

Fruit de cueillettes, de trouvailles inopinées, de rencontres, de voyages, de collaborations, la collection de Pierre Courtin est composée de cadeaux, de détails, de rebuts, d’anecdotes qui au fil des années forment la mémoire d’une expérience à la fois personnelle et collective. Une collection se doit normalement révéler non seulement le goût de celui ou celle qui la constitue, mais aussi une direction au sein d’une histoire de l’art polysémique. Elle devient progressivement la voix matérielle et conceptuelle d’un homme, d’une femme, d’un collectif. Pierre Courtin se glisse entre les idées préconçues, les normes, les traditions ; il se moque des conventions en combinant les échelles de valeur. Les notions de hiérarchie, de réputation, de carrière, de côte marchande ne sont aucunement prises en compte. Issus des scènes européennes et internationales, les œuvres-fragments résultent des pratiques éclectiques d’artistes comme Daniel Buren, Baptiste Debombourg, Adela Jušić, Chen Zhen, Robert Filliou, Camille Laurelli, Alexandre léger, Lewis Baltz, Thomas Hirschhorn, Navid Nuur, Rada Boukova, Radenko Milak ou encore Félix Gonzáles-Torres.

La collection de Pierre Courtin traduit un regard singulier et inédit sur la création contemporaine. À travers l’œuvre, son détail et sa documentation, il nous propose un point de vue hors circuit sur un pan de l’art qu’il affectionne et défend. Puisqu’elle ne correspond à aucun critère habituel, la collection 10m2 s’extrait du domaine marchand. En ce sens, elle apparaît comme un îlot anarchiste dans un monde de l’art régit par l’argent, l’uniformisation et le compromis. Alors, la collection, « utopie personnelle, affective, sentimentale », est portée par un engagement, elle se fait manifeste : à contre temps, à contre courant. En examinant l’œuvre et ses résidus, Pierre Courtin contourne ces obstacles pour construire sur le long terme une stratégie (conceptuelle et poétique) alternative au spectacle de l’art. La collection repose ainsi sur un discours personnel, critique et ironique porté sur un système essoufflé en lequel il ne se reconnaît pas.